Les brouteurs, ces fléaux qui pourrissent la vie des rédacteurs web au Bénin !
Selon une croyance populaire, les rédacteurs web africains vivraient une vie rose, notamment en raison du coût de la vie inférieur à celui de la francophonie du Nord. Sauf que ce n’est pas vrai… et exercer ce type d’activité en Afrique relève parfois d’un véritable parcours de combattant. Au Bénin, par exemple, ils sont constamment confondus avec les gayman, le surnom des brouteurs auprès des Béninois. Et cette confusion ne leur rend pas la vie simple.
Un peu de contexte : qui sont les brouteurs et comment sont-ils considérés ?
Les brouteurs passent la majorité de leur temps sur internet, notamment les réseaux sociaux, pour arnaquer d’autres personnes. Ils se servent de faux comptes et utilisent de nombreux stratagèmes pour dépouiller leurs victimes. Les sommes qu’ils volent peuvent aller jusqu’à 100 000 € par coup. Avec la conversion en monnaie locale, c’est toujours Noël avant l’heure pour eux.
Au Bénin, ils sont surnommés gayman en référence à leurs premiers modes opératoires : s’inscrire sur des forums en se faisant passer pour des personnes homosexuelles à la recherche de partenaires ou d’aides financières parce que persécutées par la société.
Les brouteurs sont très mal vus par la société béninoise. Enfin, ils sont vus comme ce qu’ils sont : des criminels. Ils font l’objet de blagues et moqueries. Pour les familles, c’est un déshonneur de savoir qu’un de leurs membres est un gayman. En plus, depuis quelques années, ces criminels font l’objet d’une véritable chasse aux sorcières de la part du gouvernement : des descentes fréquentes chez les personnes soupçonnées, des lois de plus en plus dures… Selon un article du média Africa on air, près d’un millier de cybercriminels ont été arrêtés entre 2016 et 2021.
Les rédacteurs web au Bénin, des victimes silencieuses des brouteurs
La cybercriminalité est longtemps restée très développée dans le pays, si bien que la société béninoise s’est créée plusieurs stéréotypes sociaux. Comme Habirou, rédacteur web, le souligne : « au Bénin, on s’est mis dans la tête que lorsqu’un jeune est tout le temps sur son ordinateur, c’est qu’il fait quelque chose de pas clair ». Découvrez comment ce préjugé affecte la vie des rédacteurs au Bénin.
Avoir régulièrement droit à des blagues sur le fait d’être un gayman
Au Bénin, les rédacteurs web sont si confondus avec les brouteurs qu’ils ont très souvent droit à des blagues déplacées : « tu as commencé aussi gay ? », « tu appuies aussi ? (a non zi fin ? en langue locale) ». Et, parfois, il ne faut pas non plus compter sur la famille pour avoir du soutien. Je me souviens que ma mère avait même dû appeler un ami pour « vérifier » que je n’en étais pas un.
Il y a aussi cet ami qui devait recevoir plusieurs paiements d’un client français. Il est parti au même guichet 3 fois en l’espace d’une semaine. La caissière lui a lancé au troisième retrait « chef, il faut laisser au moins un peu au client, non ? ».
Un ancien rédacteur de mon équipe m’a confié que quelqu’un lui avait demandé un jour de lui montrer les rouages du « métier » (il parlait ici de l’arnaque) parce que ça avait l’air de plutôt bien marcher pour lui.
Avoir toutes les peines du monde pour encaisser les fruits de son activité
Au Bénin, la plupart des moyens de paiement comme PayPal et Stripe ne permettent pas de retirer de l’argent ; on peut seulement acheter en ligne. Lorsque les rédacteurs web béninois doivent recevoir de l’argent de l’étranger par PayPal par exemple, ils sont obligés de passer par des intermédiaires. Malheureusement, ces intermédiaires s’enfuient parfois avec l’argent, et le rédacteur lui n’a plus rien.
D’autres freelances préfèrent encaisser les fonds en personne et utilisent les services comme Western Union, Ria… Sauf que ce sont des moyens de paiement également utilisés par les brouteurs, ce qui crée de nombreuses complications et des retards dans le traitement de la transaction. Avec Habirou par exemple, « le transfert a été retardé, parce qu’il fallait que le client confirme qu’il avait bien envoyé l’argent dans un cadre légal ».
Il en existe même qui sont victimes de rançonnement. Omer m’a confié qu’à ses débuts, il avait dû payer des commissions à la caisse, parce que ce « serait la procédure lorsque les fonds viennent de l’étranger » : « la commission était énorme. 10 % vous imaginez ? Je travaille et je paie 10 % à quelqu’un qui n’a rien fait ».
Cela me rappelle d’ailleurs une situation similaire un jour où je devais retirer de l’argent par Western Union. Je m’étais emporté contre les caissières et leur avais répondu « si vous ne voulez pas faire l’opération, laissez et remettez-moi mon passeport » avant qu’elles comprennent que je ne serais pas leur prochain pigeon et se décident à me servir.
Avoir même peur d’aller retirer l’argent issu de son activité
Un rédacteur m’a confié « j’avais peur, peur du regard des autres. J’en avais plus peur quand j’allais retirer de l’argent, par rapport au regard des personnes à proximité quand elles voyaient la somme à retirer, lorsqu’elles voyaient la fiche à remplir. Même à la caisse, il m’est déjà arrivé qu’on me demande plus d’explications sur ce que je fais et qu’on ne soit pas vraiment convaincu par mes explications ».
Vous imaginez ? Souffrir comme un dingue, subir des pressions pas possibles pour rendre les articles dans les délais, enchaîner les veilles… et avoir peur d’aller retirer son argent alors qu’on a travaillé honnêtement. Cependant, ce n’est pas si fou que ça. Au Bénin, le jugement par la société est très marqué. Et comme les bouteurs sont très mal vus par la société, on ne veut surtout pas être confondu avec eux.
Devoir renoncer au fantasme d’exercer son activité n’importe où
Si dans certains pays, cela n’a rien de surprenant de posséder une connexion internet et de taper pendant de longues heures sur son pc, au Bénin, vous attirez très vite l’attention, surtout en public. Ceux qui vous entourent vous soupçonneront très rapidement d’être un gayman. Il peut même arriver que des personnes trouvent des prétextes juste pour réussir à jeter un œil sur votre ordi.
Avec cette situation, il est difficile de travailler tranquillement, à la plage par exemple. D’ailleurs, si vous restez trop longtemps, il est possible que les policiers qui stationnent sur la plage pour assurer la sécurité viennent vous rendre une visite. Bonjour les explications sans fin, sauf si vous avez gardé tous vos documents avec vous (extrait d’immatriculation, etc.) pour vous justifier.
Pour avoir plus de tranquillité pour rédiger, les choix sont limités : rester chez soi ou fréquenter des lieux dans lesquels vous êtes déjà connu.
Et les rédacteurs web, comment vivent-ils cette situation ?
Être confondu avec les brouteurs, beaucoup de rédacteurs web béninois l’ont intégré – ça fait partie du jeu. Cependant, ils ne le vivent pas de la même manière. Des rédacteurs ont toujours cette peur – certainement parce qu’ils donnent une très grande importance à leur image – et d’autres, comme Julius, n’y pensent pas vraiment : « j’essaie de vivre le plus discrètement possible. Je n’y pense pas vraiment ».
Ernest, qui a également accepté de me répondre, affirme être évidemment dérangé par cette situation : « être arnaqueur et être rédacteur web, ce n’est pas le même monde ». Il n’a toutefois pas l’intention d’arrêter son travail. Pour lui, « le plus important, c’est ce qu’[il] fait et comment [il] gagne sa vie ».
Il en existe même, comme Omer, qui voient avec cette situation une « occasion de réaffirmer le métier ». Mais, il devient cependant exaspéré lorsque les personnes à qui il explique son métier et la différence avec les brouteurs ne le croient pas.
La situation des freelances béninois n’est pas un cas isolé
La confusion avec les brouteurs n’est pas le seul problème auquel doivent faire face les rédacteurs web d’Afrique : l’esclavagisme à Madagascar, les défauts de paiement, les clients qui disparaissent… Il faut ajouter à tout ceci la lutte que tous les rédacteurs mènent pour faire reconnaître ce métier à sa juste valeur. Autant dire qu’exercer une activité pareille sur le continent est loin d’être aussi rose qu’on le pense. Choisir cette orientation professionnelle, c’est prendre la décision de suivre un véritable parcours de combattant.
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7 commentaires
Article excellent et bien rédigé. Merci beaucoup pour ce décryptage de la situation rédactionnelle au Bénin en particulier et en Afrique, en général. Bon courage aussi à toi, David.
Merci de votre partage. Je n’avais pas imaginé ça. Et comment faites-vous face à votre propriétaire ?
Une description réelle de la situation de la redaweb au Bénin. Même c’est difficile d’expliquer au parents que ce n’est pas de l’arnaque. Surtout quand on est à ses débuts, on entend souvent<>. Vraiment trop de choses qui découragé et donnent assez de frustration.
J’aime aimé votre façon de decripter la situation au Bénin.
Je suis au Cameroun, après de petits stages de formation, je ne réussis pas toujours à décrocher un contrat. Comment faire ?
Le texte révèle bien la réalité de la plupart des rédacteurs web qui vivent au Bénin. Pour ma part, je privilégie le plus souvent le paiement bancaire. J’ai fait rédiger à un de mes clients, sur demande de mon gestionnaire de compte, une lettre dans laquelle il confirme le type de relation qu’on a et précise bien qu’une rémunération mensuelle me sera envoyée en échange de mes services. Comme ça, je peux effectuer des opérations sans le moindre problème.
Bon texte ! Ça résume la situation au pays. Parfois le propriétaire a du mal à te croire…
Merci de votre partage. Je n’avais pas imaginé ça. Et comment faites-vous face à votre propriétaire ?